Benjamin Bayart. Le gouvernement confondrait-il République et féodalité ?
Suite aux débordements de fin d’année 2012 concernant des propos tenus autour de différents hashtags de type #SiMonFilsEstGay sur le service Twitter, la toile s’est enflammée, comme Paul Da Silva, et le gouvernement s’est exprimé. Le problème n’est en réalité pas du côté de Twitter, ni de ses utilisateurs qui se sont exprimés avec parfois une bonne dose de haine et de violence (sacro-sainte liberté d’expression), mais la réponse dans une tribune dans LeMonde.fr de Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes et porte-parole du gouvernement, titrant ; “Twitter doit respecter les valeurs de la République“. La ministre semble vouloir s’entretenir avec Twitter pour trouver une solution et le rendre responsable. Le filtrage n’est alors plus très loin.
Benjamin Bayart (FDN) a tenu à lui répondre à son tour, en s’exprimant dans une tribune libre, que je me permets de reprendre mot pour mot, et que je ne peux que vous encourager à lire.
Dans une tribune récente, publiée par Le Monde, Najat Vallaud-Belkacem nous a expliqué qu’au nom des valeurs de la République, il était nécessaire d’accorder au Seigneur de Touitteur droit de haut et basse justice sur ses terres. Dans la mesure où ça ne fait pas partie des valeurs habituellement défendues par la porte-parole du gouvernement, essayons d’analyser comment elle est arrivée à ce contresens.
La forme de la tribune
La tribune de la porte-parole du gouvernement est subtilement articulée. Pour les gens qui connaissent bien les questions de droit sur Internet, le billet est même équilibré et relativement juste. Mais pour le reste du bon peuple de France, il est largement faussé.
En effet, la ministre explique de manière claire le problème : des propos racistes, antisémites, ou homophobes sont tenus très ouvertement sur twitter. Elle explique que c’est illégal, mais également dangereux : les problèmes liés à l’homosexualité sont à l’origine d’un grand nombre de suicides chez les jeunes, et laisser impunis des propos de ce type y contribue. Et elle demande donc à Twitter de trouver une solution pour que ce ne soit plus possible.
Ensuite, de manière beaucoup moins lisible, par des allusions à la loi dite de confiance en l’économie numérique, au régime juridique de responsabilité des intermédiaires techniques, aux limites fixées en 2004 par le Conseil constitutionnel à ce régime, elle rappelle le contexte juridique. Twitter ne pourrait agir que dans un certain nombre de cas très précis, et le gouvernement souhaite simplement ouvrir un dialogue.
Quand on connaît les références nécessaires, c’est assez lisible. Le gouvernement veut juste froncer les sourcils en public, mais ne va pas bouleverser le droit. Quand on ne connaît pas ces références, on retient que Twitter va devoir empêcher les gens d’être méchants, en rétablissant l’ordre dans sa cour de récré.
Cette présentation est donc pernicieuse : elle vise à dire des choses fausses à une majorité de gens, tout en calmant d’avance la critique.
Le fond de la tribune
Le fond du propos ministériel, une fois qu’on en a retiré la mauvaise foi de sa formulation, pose cependant problème. Quand des gens se comportent mal, mettons qu’ils volent des mobylettes, ou qu’ils braconnent, ou qu’ils disent des choses interdites, les valeurs de la République nous disent que la police (pouvoir exécutif) et la justice (pouvoir judiciaire) doivent intervenir pour faire respecter la loi (pouvoir législatif), il me semble.
Ce que nous dit la porte-parole du gouvernement c’est que le seigneur des lieux doit se charger de faire la police et de réprimer les débordements quand ils ont lieu chez lui. Le gouvernement appelle donc à ce que sur Internet, on rétablisse les privilèges de juridiction donnant des pouvoirs de police et de justice aux seigneurs locaux.
Neutralité du Net
Vu comme ça, on sent bien que c’est une bêtise. Pour arriver à cette bêtise, la méthode est simple. Première étape, on rend Twitter responsable de ce qui se passe sur son réseau. Il devient donc responsable des bêtises que je peux dire avec mon compte twitter, me supprimant mon statut d’adulte responsable. Pour éviter de s’attirer les foudres de la loi, ou les gros yeux du gouvernement (on est léger en foudre en ce moment), Twitter va donc devoir surveiller ce que font les citoyens pour détecter les comportements problématiques et intervenir (police). Ensuite, il faudra bien qu’il puisse empêcher la publication des messages, puisqu’il en est responsable. Il a donc un droit de censure sur tout le contenu qu’il transporte (justice).
C’est un des nombreux pièges du débat sur la neutralité des réseaux : le rôle des intermédiaires techniques est fondamental. C’est sur ce rôle que repose celle de nos libertés qui est la mère de toutes les autres, la liberté d’expression. Rendre les intermédiaires techniques responsables de ce que font les utilisateurs, c’est rétablir un système féodal, et tuer la liberté d’expression. C’est exactement l’inverse qu’il faut faire : les intermédiaires techniques doivent être responsables du bon transport des propos de tous, sans discrimination. C’est la justice qui se chargera de sanctionner les abus prévus par la loi, pas Twitter.
L’ordre public
Enfin, sur le fond du problème qui n’était pas le fond du billet. Si le gouvernement se préoccupe vraiment du risque que les propos homophobes font courir à notre jeunesse, d’abord c’est une bonne nouvelle, ensuite il faut changer de méthode. Les propos homophobes les plus dangereux ne sont pas ceux qui circulent sur twitter et ne sont relayés par personne, mais ceux qui sont tenus par des élus (…)
Mme la ministre, faites appliquer la loi. Demandez aux procureurs d’agir systématiquement contre les propos homophobes, racistes ou antisémites. Twitter se fera un devoir de répondre à toutes les demandes d’identification des auteurs, j’en suis certain.
Mais ne rendez pas l’outil responsable de l’usage, c’est la première étape de la sortie de l’État de droit.
>>> Publié par Cyrille Neosting dans Actualité le | Liens : http://nst.im/Z2oDc6 Image | Mots-clés : Benjamin Bayart, tribune, twitter
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