Le Conseil de l’Europe ouvre le débat sur le revenu de base

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Le Conseil de l’Europe ouvre le débat sur le revenu de base

Fin février, le Conseil de l’Europe organisait une grande conférence sur le thème « Pauvreté et Inégalités dans les pays des droits humains : le paradoxe des démocraties ». Rassemblant plus de 400 personnes de 55 pays différents pendant deux jours, le programme a octroyé une belle place à l’idée du revenu de base inconditionnel. Tentative de synthèse.

Il faut bien l’admettre : nous étions sceptiques en arrivant dans le quartier européen de Strasbourg. Invités par le Conseil de l’Europe à discuter de pauvreté et d’inégalités, comment ne pas craindre de participer à une énième conférence sur la pauvreté où la solution phare du revenu de base serait encore une fois passablement éludée ? Nous avons eu plaisir à nous tromper : le revenu de base était bien au programme, et pas qu’un peu.

« Déstigmatiser les politiques de lutte contre la pauvreté, c’est notre message aujourd’hui »

Dès les premières minutes de son allocution d’ouverture, la grande organisatrice de l’événement, Gilda Farrell, mettait les pieds dans le plat :

Comment pouvons nous envisager une sortie à cette situation s’il n’y a pas de discussions entre nous sur l’allocation universelle, le salaire minimum garanti ou d’autres mesures à imaginer ensemble pour éviter les stigmatisations et activer le potentiel créatif de chacun ?

Ancienne commissaire européenne, et chef de la Division pour le développement de la cohésion sociale du Conseil de l’Europe, c’est Gilda Farrell qui a tout fait pour que le revenu de base sorte du milieu académique et fasse partie des thèmes phares de cette conférence. Plus de deux ans de préparation pour réunir politiques, économistes, ONG, activistes et pour mettre en avant les sujets des biens communs, du gaspillage et du revenu de base dans le débat public. Un soutien de poids qui explique probablement pourquoi des avocats phares du revenu de base faisaient partie des intervenants à la tribune de cette conférence : Guy Standing, Louise Haagh, Yannick Vanderborght, Jean-Paul Brasseur du mouvement belge Vivant, ou encore Magdalena Sepulveda (la fameuse rapporteur de l’ONU qui a récemmentpressé le gouvernement namibien de remettre à jour l’idée d’un revenu de base national).

Gilda Farrell a même eu la gentillesse de nous accorder une interview vidéo :

Une proposition officielle du Conseil de l’Europe

Cette bonne volonté affichée des membres du Conseil de l’Europe ne sont pas que des mots lâchés en l’air. Elle est gravée dans le marbre du « guide méthodologique » produit par le Conseil de l’Europe et distribué en version provisoire aux participants. Ce document de 200 pages accorde une double page au revenu de base dont voici un extrait :

L’instauration d’un revenu de base – réclamée aujourd’hui par de nombreux jeunes européens y compris les jeunes diplômés, afin de pouvoir se consacrer à des activités citoyennes et faire face à la précarisation des conditions de travail – permet d’avoir accès à un revenu autorisant une vie digne même lorsque l’on perd son emploi ou traverse une période difficile, sans devoir patienter plusieurs mois avant de toucher une première allocation ni avoir à supporter des procédures longues ou des traitements humiliants.

Le document ne s’avance pas sur des modalités d’application particulière d’un revenu de base, mais avance que « le revenu de base [versé] en espèce doit être combiné avec un revenu de base en nature« . Il fait également référence à une résolution de 2010 du parlement européen demandant l’étude de la faisabilité d’un revenu de base inconditionnel en Europe, ainsi que la proposition de mise en place d’un « eurodividende » par Philippe Van Parijs.

Guy Standing : « le monde change »

La première matinée a ainsi été marquée par une percutante intervention de Guy Standing (voir la vidéo ici), en grande forme comme à son habitude. Co-fondateur du Basic Income Earth Network (BIEN) et auteur d’un ouvrage phare Le Précariat, Standing a dénoncé les politiques des 30 dernières années, non pas en raison de la dérégulation des marchés mais surtout, de la rerégulation des politiques sociales, qui sont toujours plus sévères à l’encontre des personnes précaires, allant selon ses mots jusqu’à « indiquer aux gens comment se comporter ou ne pas se comporter », et dressant  des barrières toujours plus infranchissables autour de l’accès aux aides sociales. Évidemment, Guy Standing en appelle à un revenu de base comme un droit fondamental.

Revenu minimum ou revenu de base ?

Deuxième jour, et Louise Haagh, autre intervenante très remarquée en session plénière (voir la vidéo ici), affirme à son tour la nécessité d’un revenu de base pour garantir les droits fondamentaux. L’universitaire, professeur à l’université de Cork (Angleterre), a également expliqué le lien entre revenu de base et biens communs : avec un revenu de base, les citoyens seront moins apeurés, penseront différemment, et cela favorisera les initiatives visant à protéger les biens communs.

Plus tard dans la matinée, et tandis que Stanislas était sur le plateau de la chaîne de télé locale Alsace 20 pour parler de notre initiative citoyenne européenne, un atelier avec pour thème « Le revenu de base et l’accès à des ressources financières » réunissait un panel de spécialistes dont Jean-Paul Brasseur du mouvement Vivant Europe, qui défend le revenu de base en Belgique et au sein de l’ICE, Hugo Mattei, professeur de droit international et comparatif, Bernard Bayot, président de l’European Financial Inclusion Network, Yannick Vanderborght, membre du comité exécutif du BIEN, et James Henry, membre du Tax Justice Network.

Ce dernier a démontré de manière flagrante que ce ne sont pas les milliards qui manquent pour financer des politiques sociales, pour peu que l’on se donne les moyens de combattre l’évasion fiscale. Ensuite, alors que d’autres intervenants semblaient ignorer les principes d’universalité et d’inconditionnalité du revenu de base, Jean-Paul Brasseur a pu défendre largement tous les avantages du revenu de base dans un contexte de blocage du modèle socio-économique existant.

Maintenir le système actuel c’est préparer sa faillite.

— Jean-Paul Brasseur

Selon la vision du Mouvement Vivant, le revenu de base financé par TVA (pdf) permettrait consécutivement de relancer le marché de l’emploi par l’allègement des charges sur le travail, en réorganisant complètement le reste de la société : liberté d’entreprendre, stabilisation du pouvoir d’achat des peuples. Le revenu de base serait « une bonne mesure pour contrecarrer les cycles économiques » résume Jean-Paul Brasseur. Il termine son intervention en insistant sur l’inconditionnalité, en rappelant qui serait inconcevable d’en revenir aux méthodes du 19ème siècle – lorsque les dames patronnesses distribuaient la soupe populaire seulement aux ouvriers qui allaient à la messe …

Le revenu de base est l’une des propositions du Conseil de l’Europe pour faire face à la crise.

Malgré cet argumentaire percutant, une autre approche est souvent opposée au revenu de base : celle du revenu minimum. Souvent perçue comme moins « utopiste », la voie du revenu minimum est notamment défendue par le réseau anti-pauvreté EAPN. À la différence du revenu de base, le revenu minimum n’est pas inconditionnel. Il s’agirait en fait d’élargir le concept du RSA à l’ensemble de l’Europe en instaurant le revenu minimum à 60 % du revenu médian de chaque pays.

Dans la mesure où certains pays comme la Grèce, la Hongrie ou l’Italie n’ont pas de revenu minimum, cette voie est souvent perçue comme plus urgente et réaliste pour soulager  la situation de nombreuses personnes à court terme.

Au final, il émerge des discussions que les deux approches vont dans le même sens : le revenu minimum est une approche davantage court-termiste tandis que le revenu de base est l’ambition de long terme partagée par beaucoup. L’ensemble des intervenants a souligné que l’accès direct à des ressources financières était le meilleur moyen de résoudre les problèmes d’inclusion, de respect des droits et de pauvreté. Des mots même de Fintan Farrell, directeur de l’EAPN, il faut faire « front commun entre revenu de base, revenu minimum et salaire minimum ». Des conclusions que Yannick Vanderborght a assez bien résumées lors de la séance plénière de clôture (23ème minute) :

Le revenu de base continue certes à être perçu pour beaucoup comme une idée très radicale, voire utopiste. Malgré tout, le fait qu’une institution comme le Conseil de l’Europe prenne au sérieux cette proposition est un signe encourageant. Comme le disait Guy Standing en conclusion de son intervention en plénière : « Avant les gens nous riaient au nez, mais maintenant le monde change ».

>>> Auteurs : Stanislas Jourdan, Damien Vasse, Carole Fabre, David Feltz