Vous vous souvenez du manifeste du web indépendant du 2 février 1997 (cf. cette page) ? Pour ma part, je n’étais pas encore né, puisque je me suis connecté seulement quelques mois plus tard au réseau des réseaux.
Et comme chacun sait, ses débuts sur Internet ne sont pas franchement propices à la réflexion, mais plutôt dédiés à la découverte et à l’exploration, comme un spectateur, les yeux ébahis devant un écran géant au cinéma, impatient de voir le rideau finir de descendre. Comme l’a d’ailleurs si bien expliqué Benjamin Bayart, dans différentes conférences comme celle à Compiègne en 2012 ou celle-ci en 2010 (avec son échelle “Bayart” de l’internaute), l’internaute doit franchir plusieurs étapes avant de devenir un véritable acteur du web. Si aujourd’hui, ces étapes se franchissent facilement chez les jeunes, aidés par de nombreux outils facilement accessibles, ce n’était pas encore vraiment le cas avant les années 2000, et il reste encore de nombreux efforts à faire pour que la dernière devienne un réflexe.
Pour rappel, l’échelle “Bayart” est déterminée par les comportements suivants :
- Acheteur/kikoolol
- Lecteur
- Râleur
- Commentateur
- Auteur
- Animateur
Mais, aujourd’hui, derrière un semblant de liberté d’expression pourtant censurée à tout va, notre époque numérique a toujours les même préoccupations qu’à ses débuts. Hélas, elles sont cette fois-ci plus graves, car liées aux mauvaises évolutions et habitudes indignes du potentiel d’Internet. Le manifeste est en ce sens encore toujours d’actualité. La principale pour ma part, c’est bien celle qui consiste à lutter contre la centralisation des contenus liés à la liberté d’expression (facebook, youtube, Google…). Ce n’est pas simple, mais les geeks doivent désormais mettre tout en œuvre pour que les outils dédiés à l’auto-hébergement deviennent aussi accessibles et interopérables que les outils privés actuels. Pas simple non plus, c’est certain, avec nos connexions toujours essentiellement dissymétriques.
Malgré son âge finalement, avec ce manifeste, les premiers geeks se questionnaient déjà en 1997 sur l’avenir de ce nouveau média qu’il fallait à tout prix défendre pour conserver l’utopie nouvelle qu’il laissait entrevoir ; celle de profiter d’une véritable liberté d’expression et du partage de la Culture. Aujourd’hui, et alors que des citoyens du Net en sont morts, comme Aaron Swartz (lisez cet excellent papier), rien a changé. Pire, tout va de travers, comme chacun des illuminés au LSD le laissait entrevoir.
Voilà ce que disait le manifeste, traduit dans de nombreuses langues (source) :
Le Web indépendant, ce sont ces millions de sites offrant des millions de pages faites de passion, d’opinion, d’information, mises en place par des utilisateurs conscients de leur rôle de citoyens. Le Web indépendant, c’est un lien nouveau entre les individus, une bourse du savoir gratuite, offerte, ouverte ; sans prétention.
Face aux sites commerciaux aux messages publicitaires agressifs, destinés à ficher et cibler les utilisateurs, le Web indépendant propose une vision respectueuse des individus et de leurs libertés, il invite à la réflexion et au dialogue. Quand les sites d’entreprises se transforment en magazines d’information et de divertissement, quand les mastodontes de l’info-spectacle, des télécommunications, de l’informatique et de l’armement investissent le réseau, le Web indépendant propose une vision libre du monde, permet de contourner la censure économique de l’information, sa confusion avec la publicité et le publi-reportage, sa réduction à un spectacle abrutissant et manipulateur.
Pourtant le Web indépendant et contributif est menacé ; menacé par la fuite en avant technologique qui rend la création de sites de plus en plus complexe et chère, par l’écrasante puissance publicitaire du Web marchand, et bientôt par les accès dissymétriques, les Network Computers, les réseaux privés, le broadcasting, destinés à cantonner le citoyen au seul rôle de consommateur. Déjà la presse spécialisée, si avide des publicités d’annonceurs qui récupèrent à leur profit la formidable richesse du Web contributif, et fascinée par les enjeux techniques et commerciaux de l’Internet, réserve quelques maigres lignes aux sites indépendants, occulte l’enjeu culturel du réseau, expédie rapidement la mort des sites pionniers du Web artisanal, quand elle glose en long et en large sur le nouveau site de tel vendeur de soupe. La création d’un site personnel y est présentée aux utilisateurs comme une motivation très annexe, loin derrière les possibilités d’utilisation en ligne de sa carte de crédit.
Nous invitons donc les utilisateurs à prendre conscience de leur rôle primordial sur l’Internet : lorsqu’ils montent leur propre site, lorsqu’ils envoient des commentaires, critiques et encouragements aux webmestres, lorsqu’ils s’entraident dans les forums et par courrier électronique, ils offrent une information libre et gratuite que d’autres voudraient vendre et contrôler. La pédagogie, l’information, la culture et le débat d’opinion sont le seul fait des utilisateurs, des webmestres indépendants et des initiatives universitaires et associatives.
Je vous laisse avec David Dufresne, qui explique si bien la valeur de ce manifeste. Aujourd’hui, pour que ce dernier puisse avoir tout son sens, il faudrait que la neutralité du réseau des réseaux nommé Internet, ait une véritable valeur juridique et que chacun puisse défendre devant la justice sa véritable liberté d’expression.
J’y reviendrai, mais en attendant, je vous laisse avec le site de la contre-histoire des Internets.